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29/01/2012

Rien ne justifie la peur

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Mon grand-père m’avait arraché à ma mère
Comme on sauve un enfant de la noyade
Comme on arrache une dent avec un fil relié à la porte
Pour un petit fils de boulanger être un « bâtard » n’avait rien d’humiliant
L’idée de cette irréelle unicité ne semblait pas me déranger
Cette solitude fondatrice m’accompagne toujours
Et la lecture de mon acte de naissance reste une énigme
Une vacuité plutôt, l’absence graphique qui inaugure une parole
Ma parole
Tout semblait se jouer entre ces trois protagonistes
Sans accord, sans un mot, tacitement,  juste ce qui lie un père à sa fille engrossée précocement
Une alliance qui m’échappait et leur échappait aussi
Une banale histoire de vie de village que nous avons pourtant quitté très vite
J’ai toujours vénéré cet homme, parole vivante, qui m’a porté une admiration sans bornes
Chaque matin je pense à lui et il a beaucoup contribué à ce que je suis
A ce que je ne suis pas aussi 
Sa présence m’envahit encore aujourd’hui
Je sais pourtant, sans jamais en parler, que la femme qui m’a le plus aimé
Le plus choyé, étreinte des silences à porter, des blessures dont elle ne dira jamais rien
C’est ma grand-mère
Femme de l’ombre, discrète et soumise, moins éloquente
C’est toi qui enlevais mes chaussures quand je revenais le mercredi soir  de la piscine Blomet, juste capable de m’affaler sur mon lit pliant.
C’est toi la laborieuse du petit matin jusqu’au soir très tard qui t’occupais de moi
C’est toi qui m’as donné le nom de mon père pour le trouver puis le perdre
J’avais souvent honte d’être accompagné d’une « vieille femme » de 42 ans à l’école des Renaudes, dans le quartier où tu étais concierge,  rue de Chazelles, dans ce très bel immeuble qui a été si longtemps ma plus belle cour de récréation du monde, entre le parc Monceau et les grands magasins.
Tu es partie ce jour de… (Je ne sais même plus quand c’était) après ma dernière visite et un bon repas très déséquilibré où tu gardais toujours le meilleur pour moi. Tu m’as fait signe de partir quelques minutes, comme par pudeur, pour pouvoir mourir tranquille, rassasiée de ma venue.
Je te savais heureuse. Je savais que tu m’attendrais
Si, je m’en souviens maintenant c’était l’année de mon mariage
Je n’ai lu aucune angoisse sur ton visage lisse comme ta vie. Nous t’avons allongée près du grand père, une évidence. J’ai gardé tous les dessins de l’arrière-grand-père Besnard, ton père et c’est tout.
J’ai vécu des années sans peur…

18:00 Publié dans Blog | Lien permanent | Commentaires (0)

15/01/2012

Il était une fois...

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J’avais appris la permanence des pierres
                     Comme les mots à la commissure de mes lèvres
Toujours un galet ou un cristal dans la poche
                     Quelque chose où je peux m’agripper quand la froidure du temps et des sentiments me rendent vulnérable
Et aux quatre coins de la maison
                     Des accumulations inutiles
Je fais des tas me dit-on
                     Des tas de tout
J’aime bien les tas, ça me rassure
Des petits tas comme on marque son territoire
                     L’aspirine dans le tiroir du buffet mélangée avec des piles électriques, quelques pièces de monnaie et d’anciens tickets de caisse
Des publicités qui s’entassent sur la table en sachant pertinemment qu’on ne les lira jamais
Les pierres aussi s’entassent
Je parle aux pierres
                      Aux cicatrices cristallisées de leur histoire
J’ai l’impression qu’elles me comprennent mieux que les hommes
Elles savent écouter inlassablement sans se fendre
De temps en temps seulement elles vous répondent
C’est très rare et quand ça arrive
C’est encore mieux que l’opéra de Verdi qu’interpréta Riccardo Muti à Rome en mars dernier et qui m’a fait pleurer de bonheur
Encore mieux que le point d’eau du Ténéré que nous cherchâmes des heures et des heures alors que la soif nous tenaillait
               C’est magique
Un instant de fulgurance intime avec l’aube des mots
               Une parole que rien n’efface
Une rencontre de l’insolite qui vous réconcilie avec le vrai discours des hommes
               C’est l’inaltérable
Fureur volatile de vie qui trace une conscience et nous rend un peu meilleur
               Humble exilé de la terre
Où le temps se fige
Accumulation incongrue de souvenirs qui bâtissent une tranche de vie unique et singulière
Deux regards complices
Deux mains qui se serrent
Deux sourires qui s’échangent