14/02/2016
DESHONNEUR
Ce n'est pas si souvent que la colère m'envahit...
Mais alors là, bien que sans illusion, prendre tous les citoyens pour des cons, c'est TROP.
Ce matin, avec tristesse, j'ai déchiré ma carte d'électeur.
Ma ligne de vie
se décrie au point de rosée
pas même atteint
elle était définitivement en travaux ...en friche
une césure dans un vers interminable
entre tourment et recueillement.
Poussière de terre et de limon
je ne devais rien aux étoiles
Le voisin déplaçait obsessionnellement
la clôture de son champ
comme pour se persuader
qu'il avait des projets d'ailleurs
peut-être sentait-il
qu'il nous faudrait
reconsidérer la couleur étonnante et volatile des abricots
le vent fort venu de l'Ouest
ce matin là
n'empêcha pas le soleil de se lever
Il le fit
sans se soucier de l'homme
je su que c'était un jour comme les autres
et que pourtant rien n'était comme avant
même mes tartines beurrées et mon café
avaient un goût inhabituel
une désespérance à suspecter l'amour
elles ne me rappelaient même plus les souvenirs d'enfance
les grasses matinées inutiles
à n'en plus finir
avec ma cousine, mes soeurs ou ma mère
ces moments où le temps se fige
où même le soleil tremble et semble
s'être arrêté à l'entrebâillement du volet
il ne brille alors que pour nous et nous nous persuadons
que la vie est belle
même la mine en graphite de mes crayons ne s'écrasait plus sur la feuille vierge
pour m'alerter au plus vite que la beauté du monde
n'a pas été inventée par l'homme
c'était un matin définitivement en travaux
je déplaçai les clôtures de mes pensées
comme s'il était impératif
comme si l'urgence imposait
que je ne sois pas surpris de voir
les cerisiers en fleurs, les amandiers se tordre
ne plus me demander si je suis un tortionnaire comme chacun de nous
surtout ne pas penser pour une fois à la mort de mon grand-père
le laisser seul redécouvrir l'absence
ce qui gît au fond de nous
ce matin du 11 février
Mandela sortait de prison
je n'allumai pas la radio
je mis un 33 tours d'une chanson de Joni Mitchell... « blue »
retour de mémoire inaccessible de maison bleue
la performance de Carolyn Carlson en 1977 avait troublée mon appréhension du monde
je serrai dans ma main un Herkimer de cinq cents millions d'années
mes doigts sentaient le savon de Marseille
et cela suffisait à me sentir libre
ne pas penser ce qu'on m'avait appris
mais penser ce qu'on m'apprenait pour articuler une autre pensée
la mienne
Il était évident
que je ne ferai rien comme d'habitude
que toutes mes valeurs imposées
auxquelles je croyais
n'avaient aucun sens
je repensai à la tombe de Camus et de Dali
je préfère celle de Camus et cette discrète similitude avec la banalité
de l'homme ordinaire qui sait se rendre extraordinaire
au moment où écrire est aussi difficile que ne pas écrire
je sortis et plongeai mes pieds et mes mains dans la terre
je vis que d'autres comme moi avaient renoncé
à la mort programmée
et au bonheur manufacturé
d'autres et d'autres encore réécrivaient la brèche sans fin de l'écriture
comme une gerçure qui ne guérira pas
la cicatrice indélébile de l'ami
comme un feu qui ne se consume pas mais nous consume tous
Enfin libre de ne pas écrire
ou d'écrire
Renoncer à soi-même comme l'écriture renonce à se donner
au juste aplomb
de la liberté
et
de l'honneur
15:59 Publié dans Blog | Lien permanent | Commentaires (0)